L’Ouest
algérien du début du XXe siècle est bien éloigné du
glorieux empire mérinide dont certains musulmans traditionalistes
d’alors continuent encore à chérir la mémoire. La colonisation a
pourtant définitivement condamné l’organisation traditionnelle du
Maghreb et bouleversé la société musulmane locale, entrainant
l’émergence d’un prolétariat désislamisé, notamment à Alger,
la disparition des élites traditionnelles, l’essor de nouvelles
tendances politiques ou religieuses acculturées, tels les
Jeunes-Algériens. Tous ces facteurs expliquent en partie le modèle
éso-exotérique qui sera celui de l’Alawiyya, qui devient à
partir des années 1920 l’une des principales structures de défense
de la religion traditionnelle, mais également le positionnement de
son saint éponyme, s’adressant explicitement et volontairement
autant à la masse qu’à l’élite.
Même
s’ils pourront paraître a
priori éloignés
des thèmes traités dans les chapitres suivants, les quelques
éléments historiques et culturels qui vont être fournis dans les
lignes qui suivent sont d’une certaine importance pour bien situer
l’environnement de l’Alawiyya et, par
conséquent, les
motivations et le « style » de son fondateur.
Le contexte
historique et culturel : l’Ouest maghrébin, berceau de la
Shâdhiliyya et de la culture arabo-andalouse
Mostaganem
appartient à cet Ouest algérien sunnite, viscéralement malékite,
et par bien des côtés intimement lié au royaume chérifien voisin,
puisque l’axe Meknès/Fès/Tlemcen est celui des anciens empires,
notamment celui des Mérinides.
C’est
tout l’Ouest maghrébin qui est un véritable vivier de sainteté ;
les saints et les koubbas y abondent à tel point que le visiteur
occidental du XIXe
siècle voyageant dans le Tell ne peut manquer d’être frappé par
l’augmentation progressive plus exponentielle qu’arithmétique du
nombre de tombes de saints au fur et à mesure qu’il progresse vers
l’ouest. Le colonel Corneille Trumelet constate que « l’islam
des marabouts » part du Souss et décroît d’ouest en est :
la province de Constantine constitue la limite dans ce mouvement
d’islamisation des kabyles et des ksours du sud saharien. A
fortiori,
la Tunisie et la Lybie sont quasiment dénuées de koubbas[1].
La plupart des saints viennent du Maroc, qui est surnommé pour cette
raison : saqîfa
l-janna,
le « vestibule du ciel[2] ».
En
ce qui concerne la Shâdhiliyya, qui, avec toutes ses ramifications,
constitue l’une des principales confréries de l’Afrique du
Nord[3],
les choses sont encore plus simples : beaucoup de ses maîtres
majeurs, des plus anciens aux plus récents, des plus savants aux
plus populaires, se meuvent dans ce quadrilatère qui va de Tanger à
Meknès et de Tlemcen à Mostaganem, en y intégrant le voisin
andalou pour la période antérieure à la Reconquista.
Les austères pères fondateurs de la Shâdhiliyya que sont Abû
Ya‘zâ, maître d’Abû Madyan[4]
et Ibn Mashîsh,
maître de l’Imam Shâdhilî proviennent respectivement de l’Atlas
(donc un peu à l’écart) et du Rif, de même que Shâdhilî
lui-même, qui naît chez les Ghumâra. Abû Madyan naît à Séville
et meurt près de Tlemcen. Beaucoup de Shâdhilis connus, même quand
ils émigrent en Orient comme l’Imam Shâdhilî lui-même ou son
successeur, le ch. al-Mursî, sont originaires de l’aire
maghrébo-andalouse ; bien plus, l’irrigation et la
revivification de la Shadhiliyya se fait souvent d’ouest en est, et
c’est une donnée particulièrement prégnante dans la conscience
maghrébine, pour laquelle si les prophètes sont en Orient, les
saints, eux, viennent souvent de l’Occident[5].
Beaucoup
de grands noms de la Shadhiliyya sont liés d’une façon ou d’une
autre au Maghreb. Ce constat est particulièrement frappant au XIXe
siècle : seul le changement d’appellation masque cette
réalité évidente d’un impact énorme de la figure du cheikh
Darqâwî, dont ch. Alawî se considèrera comme l’héritier
spirituel au XXe
siècle, sur l’ensemble de la Shâdhiliyya occidentale et
orientale. En Orient, un unique disciple de ch. Darqâwî donne
naissance à plusieurs branches, dont la Madaniyya, la Yashrûtiyya
et la Fâsiyya, qui joueront un rôle religieux et social dépassant
largement le domaine propre des confréries[6].
Au Maghreb, le XIXe
siècle et même le XXe
sont marqués par un mouvement permanent de va et vient entre le Nord
du Maroc et l’Ouest algérien, à tel point qu’on pourrait
presque établir une loi d’alternance dans les maillons de la
chaîne spirituelle (silsila)
de l’Alawiyya : si ch. Darqâwî est marocain, Mahâjî est
algérien ; son disciple Ibn Qaddûr est marocain, et ch.
Bûzîdî, le maître de ch. Alawî, est un Algérien originaire de
Mostaganem… bien marocanisé.
Le contexte
politique et social : les bouleversements de la colonisation
Si
le Maroc a réussi à préserver à toutes les époques ses
structures socioreligieuses — non seulement, il ne faisait pas
partie de l’aire de domination de l’Empire ottoman, mais même
sous le protectorat français, ses principales institutions
politiques et religieuses ont pu être tant bien que mal maintenues
—, le Tell algérien a vu au XIXe siècle son
organisation politique et sociale radicalement bouleversée, et son
territoire colonisé par une masse sans cesse grandissante
d’Européens de diverses nationalités.
La
politique religieuse de l’administration
La
politique du pouvoir français à l’égard de la religion et des
mœurs du pays vaincu était théoriquement encadrée par la
convention du général de Bourmont, qui stipulait que « l’exercice
de la religion mahométane restera libre » et que « la
religion ne recevra aucune atteinte », mais les conceptions
musulmanes, qui intègrent l’ensemble de l’existence dans le
domaine du sacré, et en particulier ce qui relève des mœurs et de
la famille, pouvaient difficilement être retenues telles quelles par
un État qui était lui-même l’aboutissement d’un long processus
de sécularisation du monde européen[7].
Il y eut dès les premières années de la conquête de nombreuses
entorses au principe de non-ingérence : fermeture ou destruction de
mosquées, de zaouïas, confiscation des biens habous. Le grand
historien Charles-Robert Ageron, à l’expertise duquel je ferai
souvent ici appel, remarque cependant que jusqu’en 1871, l’Algérie
est une terre « d’expériences variées et
contradictoires » : l’expression même de « Royaume
arabe », dans le cadre d’une politique d’inspiration
indigénophile menée par Napoléon III, politique qui s’opposait
frontalement aux menées du parti dit « colonial »[8],
laisse d’ailleurs entendre qu’un autre mode de relations était
possible entre colons et musulmans.
Ce
sont les événements des années 1869-1871 — victoire des colons
sur le plan parlementaire dès 1869-1870, effacement de Napoléon
III, triomphe des Républicains et surtout révolte de Moqrani de
1871 — qui vont permettre une victoire durable du parti colonial
qui se traduira par une politique religieuse encore plus rigoureuse à
l’égard des musulmans. Si donc l’on examine en particulier la
situation à partir de la Troisième République, où l’État
reconnaît le culte musulman, ce qui lui permet de nommer, rémunérer
et révoquer le clergé, on constate de nombreuses contradictions
entre la neutralité théorique affichée et les interventions telles
que les fermetures de zaouïas et l’éloignement ou l’internement
de personnages religieux[9].
Les décisions sont parfois arbitraires ou ne visent qu’à faire
plaisir à tel ou tel élu des colons. Différentes affaires célèbres
montrent à quel point les notables musulmans peuvent se retrouver
discrédités du jour au lendemain et faire les frais d’un
véritable acharnement juridico-administratif sans le plus petit
début de preuve à charge, comme celle du cadi de Miliana qui fut
persécuté de 1882 à 1891 par le maire de sa ville, Pourailly, qui
l’accusait de malversation et « boulangisme »[10].
S’agissant
du cas particulier de la Kabylie, et c’est important pour
comprendre le travail de reconquête religieuse que va y mener
l’Alawiyya, Ageron a commenté avec force détails le travail de
laïcisation et de désislamisation consciente qui a été mené sur
la base de ce qu’il appelle le « mythe kabyle », idée
aussi illusoire que bien enracinée pendant des décennies dans les
esprits français, malgré les critiques de bien des experts, qui
consistait à penser que le Kabyle n’était musulman que par un
vernis historique que les plus modestes sollicitations ferait
facilement craquer, laissant rapidement apparaître le saint Augustin
qu’on se prenait à voir en chaque Kabyle, paré de toutes les
vertus (travailleur, honnête, non machiste) que l’Arabe n’avait
jamais eu et n’aurait jamais. C’est pour arriver à ce résultat
que de nombreuses actions furent entreprises : en 1873 par exemple,
le colonel commandant le cercle de Fort-National imposait au
Gouverneur de Gueydon un plan de francisation des Kabyles ; il
proposait de supprimer définitivement toute école arabe-française,
de « faire tomber, disait-il, en désuétude par tous les moyens en
notre pouvoir les zaouïas[11] »
et de créer en pleine Kabylie des écoles communales françaises.
Bref,
comme le résume Ageron, « l’administration française de ce
temps, tout en prônant la neutralité religieuse de l’État,
entendait bien continuer sa politique d’intervention avec pour but
aussi évident qu’inavoué, l’abaissement, la destruction de
l’Islâm, ou du moins la laïcisation des esprits[12] ».
Le
contexte d’hostilité aux confréries des autorités françaises au
XIXe siècle
Partout, on se
heurtait aux intrigues fomentées contre notre domination par les
zaouïas des Derqawis…, des Sulamis, des Madanis de Tripolitaine,
tandis que les Senoussis entretenaient et excitaient les méfiances
des Touaregs… Nos possessions étaient entourées d’un immense
réseau de forces hostiles toutes liguées pour arrêter nos efforts
d’expansion civilisatrice[13].
Ces
quelques lignes des administrateurs Depont et Coppolani résument à
elles seules l’état d’esprit de l’administration française
s’agissant des confréries. Si les réformistes ont réussi à
faire croire que les confréries avaient pour l’essentiel collaboré
avec l’occupant, on voit ici que ce n’était pas l’avis de ce
dernier. Il y a bien sûr des situations très contrastées selon
l’époque à laquelle on s’intéresse. L’administration
distinguait parmi les confréries entre les « politiques »
et les « mystiques », en reprenant souvent les mêmes
modes de gestion que ceux des Turcs. Certaines confréries étaient
redoutées parce que réputées incontrôlables, comme celle des
Darqâwâ, et d’autres combattues en tant que suppôts directs
supposés de l’opposition aux Français, telle la Qâdiriyya, du
fait qu’Abd El-Kader en était issu. Les confréries qui
s’identifiaient à une tribu ou quadrillaient le territoire d’une
région étaient particulièrement surveillées en raison de l’impact
énorme d’une éventuelle insurrection. Si celle-ci avait lieu,
comme dans le cas de la Rahmâniyya, la surveillance et la méfiance
étaient garanties pour des décennies, comme on peut le constater
dans les archives du gouvernement général de l’Algérie dans ce
cas précis. L’attitude des confréries était en fait extrêmement
variable, parfois même à l’intérieur d’une seule confrérie.
Ainsi, si les Tidjânis avaient résisté à Abd El-Kader[14]
comme les Darqâwâ,
cela leur valut d’être appréciés de l’administration,
contrairement aux Darqâwâ qui continuèrent à être mal vus[15].
Si les militaires s’opposaient souvent aux colons sur les modes de
relations à établir avec l’indigène et sa civilisation, il y
avait unanimité sur le danger réel ou supposé des confréries[16].
Quand le rédacteur en chef de L’Indépendant
de Mostaganem
présente dans le numéro du 25 septembre 1892 les Darqâwâ comme
les « plus profondément imbibés de fanatisme », il est
entièrement sur la même longueur d’onde que Depont et Coppolani :
« Dans tous les mouvements insurrectionnels dont l’Algérie
et le Maroc ont été le théâtre depuis la formation de la
confrérie, on a trouvé la main de ces sectaires farouches […] ces
derouich fanatisés[17]. »
L’insurrection
de 1871, même si ce ne fut pas l’intégralité des membres de la
Rahmâniyya qui y participèrent, marque une date clé dans le
rapport aux confréries, qui vont avoir à subir collectivement les
conséquences de la défaite de Moqrani[18].
Les colons, pour qui la fermeture des zaouïas, « foyers de
fanatisme », était une véritable obsession[19],
purent désormais avoir gain de cause dans leurs demandes de sanction
à l’égard de chefs de
confrérie supposément
conspirateurs. Le chef de la Tidjâniyya fut interné, alors même
que sa confrérie était l’une des plus loyales aux Français ;
Ben Tekkouk, représentant de la Sanûsiyya était également arrêté,
sur dénonciation calomnieuse, et de nombreuses écoles de zaouïas
furent fermées comme le demandaient les députés algériens[20].
Ageron, qui a épluché les nombreux rapports rédigés à cette
époque affirme qu’ils « ne convainquent pas de la réalité
du panislamisme en Algérie ; ils sont surtout la preuve que
l’opinion ne désarmait pas sur la malfaisance des confréries
musulmanes d’où était censé sortir un vent d’insurrection
perpétuelle[21] ».
Le cas de la fermeture de trois zaouïas des Darqâwâ situées dans
la commune mixte de Saïda est symptomatique de cet état d’esprit
dans lesquels les colons exigent des mesures au moindre ragot, les
députés interviennent, les militaires ou l’administration civile
sont obligés de prendre des mesures comme l’internement ou la
fermeture de zaouïa, et enfin, lorsqu’on découvre après enquête
que les accusations étaient infondées, l’autorité laisse faire
pour ne pas se discréditer[22].
Autant dire qu’être membre de confrérie dans les années 1890, et
a
fortiori
darqâwî, n’est pas sans risque. L’un des personnages les plus
respectés de l’Alawiyya, ancien disciple de la Habriyya (une autre
branche des Darqâwâ), qui sera l’un des tout premiers disciples
de ch. Alawî à Tlemcen, sinon le premier, du vivant même de ch.
Bûzîdî, racontait souvent l’anecdote suivante : alors qu’il
revenait du Maroc d’une visite à son cheikh, Muhammad al-Habrî,
en compagnie d’un groupe de fuqarâ’,
il se vit cueillir à l’arrivée du train par la police, qui posait
à chacun la question fatidique : « Es-tu darqâwî ? »
Tout le monde savait que répondre par l’affirmative conduisait
immédiatement au poste. Tous nièrent à l’exception d’al-Ashwâr
qui acquiesça et ajouta même en français : « En elle je vis
et en elle je mourrai[23]. »
La
déstructuration de la société indigène
La
colonisation a eu pour effet de déréguler les structures sociales
et les modes de pouvoir et d’autorité qui encadraient la société
traditionnelle maghrébine. Bien sûr, cet état de fait n’est pas
toujours la conséquence d’une stratégie clairement définie et
ouvertement assumée, d’autant que diverses tendances adverses,
notamment chez les militaires, s’opposeront pendant tout le XIXe
siècle à un démantèlement total des structures existantes. Mais
ce dessein est tout de même mis en pratique de façon récurrente
aux différentes étapes de la construction de l’Algérie
coloniale. Depont et Coppolani, eux qui ne font pourtant pas partie
du « parti colonial », s’expriment sans ambages en
1897, dans l’introduction de leur ouvrage sur les confréries,
sur la politique volontariste qui a été menée pour détruire le
cadre traditionnel en rabaissant les grandes familles. L’un des
artisans de cette politique, le prince Napoléon-Jérôme, porté à
la tête du ministère de l’Algérie en juin 1858, annonçait ainsi
la couleur : « Dans les territoires militaires, les chefs
arabes exercent sous l’autorité des généraux une influence que
nous devons amoindrir et faire disparaître. » L’un de ses
inspirateurs était un publiciste, Clément Duvernois, qui consignait
en 1858 dans un livre le programme à appliquer de « dislocation
des structures traditionnelles de la société arabe » :
« Faisons chez elle la Révolution que nos pères ont faite
chez nous, détachons le peuple arabe de la glèbe en créant chez
lui la propriété individuelle, abolissons la dîme, détruisons
l’influence des caïds, aghas et autres seigneurs[24]… »
Détruire
l’influence des grandes familles constituait l’un des chapitres
de cette politique[25],
et Ageron note d’ailleurs que l’élimination définitive des
grandes familles date de la période 1870-1890. Dans un grand rapport
d’avril 1873, De Gueydon, premier gouverneur général civil de
l’Algérie en 1871, rappelle longuement quels ont été les
principes et les buts de son action : détruire peu à peu chez
les musulmans tout caractère arabe ou islamique, en s’opposant à
l’administration indirecte, aux chefs indigènes intermédiaires, à
la justice rendue par les cadis au nom du droit coranique, aux écoles
musulmanes et aux zaouïas[26].
Bien
sûr, cette action n’a jamais été continue et l’affrontement
perpétuel entre le « parti colonial » et ceux qu’on
appelait les « indigénophiles », qui appartenaient
souvent au milieu militaire, éventuellement saint-simonien, et
trouvaient parfois quelques hommes politiques pour soutenir leurs
idées contre l’énorme pouvoir des colons et des parlementaires
qui leur étaient acquis, arrivaient parfois à réhabiliter une
petite partie de l’ordre ancien et des élites sociales qui
l’incarnaient, mais l’extrême variabilité du commandement
européen au gré des fantaisies des individus qui « soutiennent un
coup les indigènes, un coup les colons, un coup les routes, l’autre
les forêts[27] »
achevaient plutôt de rendre définitivement schizophrénique la
société musulmane qui ne savait plus à quel saint se vouer !
Cette
situation de dislocation de la société traditionnelle,
d’élimination de ses élites, et de façon corollaire le
nivellement social qui en résulte, expliquent, comme le signale
Ageron, « l’impression des Européens des années 1900 […]
qu’il n’y avait pratiquement jamais eu de classe moyenne
algérienne dans les villes, mais simplement une plèbe et quelques
notabilités. Des couches moyennes des cités pré-coloniales, seuls
quelques notables traditionalistes avaient conservé le souvenir. »
Cette perception était surtout vraie pour les Français, car bien
des musulmans algériens, eux, savaient encore très bien distinguer
les divers lignages et origines de leurs coreligionnaires, ce qui
explique pourquoi, comme on le verra, ch. Alawî était identifié
comme appartenant à l’élite sociale de Mostaganem, malgré la
pauvreté de sa famille.
L’appauvrissement
des musulmans
Une
autre caractéristique patente de la société musulmane en contexte
colonial, c’est en effet son appauvrissement comme conséquence
directe des mutations profondes engendrées par la colonisation[28].
Ageron en a bien mis en évidence le mécanisme général, qui est en
fait la résultante de plusieurs facteurs qui concourent tous au même
résultat. Tout part au fond de l’imposition en terre musulmane
d’un modèle économique étranger déstabilisant.
Il
y tout d’abord le concept de propriété foncière individuelle que
la colonisation va implanter en Algérie. Bien sûr, la notion de
propriété individuelle existe bien dans le droit musulman, mais
elle n’a pas le caractère universel que les Français veulent lui
donner en Algérie, et que de fait elle n’a même pas en
Europe[29].
Les autorités interprètent ainsi librement le droit musulman et les
notions locales de propriété pour en fait faciliter l’appropriation
par les colons de terres apparemment non mises en valeur, mais qui
bénéficient à tous et jouent un rôle essentiel dans l’économie
collective d’une société traditionnelle[30].
Une loi du 26 juillet 1873, par exemple, qui vient contrecarrer les
effets de dispositions antérieures plus favorables, stipule
explicitement qu’il s’agit de « faire prédominer le droit
français dans le conflit des statuts [...] en attendant de pouvoir
régner sans partage. » Cette loi conduisait à appliquer les
règles françaises à toutes les transactions immobilières passées
non seulement entre individus de statut différent mais encore entre
musulmans, en les soumettant de plus à toutes les contraintes
administratives et fiscales typique du régime foncier français, ce
qui permettait d’évincer cadis et adouls au bénéfice des
notaires et autres avoués[31].
La loi de 1873 visait aussi « à faire cesser l’inégale
répartition du sol entre les indigènes et les immigrants à
venir ». Ageron en fait un véritable réquisitoire[32],
et
montre plus généralement que si l’ensemble des mesures
législatives variait en fonction du poids relatif du parti colonial,
le processus conduisait inexorablement au transfert des biens
fonciers des musulmans vers les colons.
S’agissant
de la question forestière ou du droit de pacage, les nouvelles
règles imposées par la colonisation contredisaient directement une
utilisation collective et tribale immémoriale, ce qui ne pouvait
qu’amener des infractions, qui elles-mêmes entraînaient des
amendes disproportionnées qui achevaient de ruiner l’économie
paysanne : c’était encore la même injustice et finalement le
même appauvrissement[33].
Un autre facteur d’appauvrissement des musulmans mis en lumière
par Ageron consistait en l’introduction brutale de l’économie de
marché dans un milieu où dominait une agriculture vivrière[34].
Quant à l’usure, si elle existait bien sûr auparavant, elle était
en quelque sorte contenue par le mode de vie frugal d’une économie
en circuit fermé. Ce sont bien les modèles économiques importés
d’Europe qui conduisirent à une démultiplication des transactions
financées par l’usure et donc à un endettement suicidaire mais
inéluctable des indigènes, comme le notait le 23 juillet 1860 le
général de Martimprey[35].
Bref,
les difficultés financières conduisaient à l’emprunt, qui
conduisait aux saisies. Il faut avoir feuilleté les collections de
gazettes locales telles que l’Indépendant
de Mostaganem
ou Le
Courrier de Tlemcen,
et leurs pages d’annonces légales, pour voir à quel point les
faillites et saisies subséquentes étaient l’un des modes majeurs
de transfert de propriété. Tout cela concourait à
l’affaiblissement de ce qui pouvait rester d’autorité
traditionnelle, car sans l’indépendance et la puissance
économique, l’autorité des chefs traditionnels ne pouvait que
s’effondrer, et ce qui est vrai pour tous types de notables
religieux ou sociaux l’était également pour les zaouïas, quoique
dans une moindre mesure. Si l’on ajoute à cela la fragilité et la
décadence de ce qui restait d’artisanat traditionnel[36],
ainsi que le poids accablant de la fiscalité, et pas seulement des
« impôts arabes » car les musulmans payait également
les autres, on comprend qu’en dehors de quelques propriétaires
terriens et grands négociants avisés[37],
les musulmans aisés n’étaient pas légion, et l’ensemble des
couches moyennes citadines — propriétaires
fonciers résidant en ville, petits et moyens commerçants, artisans,
employés du secteur public et fonctionnaires —
voyaient leurs
conditions de subsistance se dégrader (à l’exception peut-être
des deux dernières selon Ageron) du fait de l’extension de la
colonisation.
Un
contexte moins défavorable quand la confrérie apparaît en 1890
Lorsque
ch. Bûzîdî, le maître spirituel de ch. Alawî, revient vers 1889
dans sa ville natale, Mostaganem, après avoir passé plus de
quarante ans au Maroc, son arrivée coïncide avec le début d’une
période qui marque un tournant dans la politique menée en Algérie
par la France, et en tous cas une prise de conscience certaine de la
situation désastreuse des « indigènes ». Les deux
décennies qui viennent de s’écouler, caractérisées par des
conditions d’existence très précaires et d’importants
bouleversements sociaux pour les musulmans algériens, n’ont été,
comme l’a montré Ageron, que l’expression d’un bien classique
vae victis (malheur aux vaincus) consécutif à la
défaite de Moqrani.
1892
est l’année de la commission des XVIII présidée par Jules Ferry.
Cette commission parcourt toute l’Algérie et entend les
témoignages d’une multitude de musulmans, notables ou pas, qui
sont unanimes dans leurs doléances. Tous réclament le maintien du
statut personnel musulman, la fin du code de l’indigénat,
l’enseignement de l’arabe, la réforme des Impôts arabes et du
régime forestier, le rétablissement des prérogatives des cadis et
de la justice musulmane[38].
En fait, toutes les pommes de discorde sont abordées à cette
occasion : la propriété foncière, la représentation des
musulmans, leur participation aux élections et aux organes de
gestion. Les colons sont bien sûr très hostiles à cette enquête
dont ils voient bien qu’elle peut remettre en cause la domination
sans partage de leurs thèses dans la politique menée en Algérie
depuis 1870. La mise en place de cette commission et son action
donnent lieu à une multitude d’écrits et de rapports sur la
situation politique, économique et sociale des musulmans algériens.
Même si la mort de Jules Ferry, le 17 mars 1893, porte un premier
coup à l’élan réformateur de cette commission, et que le
renouvellement conduit à une élimination progressive des membres
les plus engagés, ce qui aboutit finalement à un échec global de
la plupart des projets de réforme (Impôts arabes, Code forestier,
officiers ministériels, justice musulmane, scolarisation primaire
des musulmans[39]),
il est incontestable que les travaux de cette commission, dont
beaucoup n’aboutiront concrètement que plus de vingt ans après,
dénotent un changement d’atmosphère dans l’Algérie de cette
fin de siècle : après les deux décennies d’humiliation
vengeresse, inspirée par le parti colonial, qui avaient suivi
l’insurrection de 1871, le balancier semble vouloir revenir vers
une position moins manifestement défavorable aux musulmans.
Le
berceau mostaganémois
Mostaganem[40]
était avant la
conquête française une ville florissante, avec une activité
artisanale importante, une production vendue jusqu’à Alger, un
négoce agricole servi par un arrière-pays fertile, le tout se
traduisant par un commerce actif[41].
Au témoignage des Français eux-mêmes, le territoire de Mostaganem
était enchanteur, ses propriétés couvertes d’arbres fruitiers et
sa campagne cultivée grâce à un système d’irrigation
performant. Plus grande qu’Oran, elle était la deuxième ville de
l’Ouest algérien après Tlemcen[42].
Il existait deux cadis, l’un hanéfite, cette école étant celle
des Turcs, et l’autre malékite, école quasi unique du Maghreb :
ce point est important dans l’histoire de l’Alawiyya, car ch.
Alawî était issu d’une famille de cadis hanéfites et avait
lui-même recours à certaines spécificités juridiques de ce rite.
Les savants, justement, n’avaient pas manqué dans l’histoire de
la ville, même si ce passé prestigieux semblait suffisamment
lointain pour que la ville fasse les frais des moqueries de certains
oulémas. C’est pour répondre à l’un d’entre eux que fut
composée la Sabîka
l-‘uqyân[43]
qui mentionne deux
aïeux du cheikh.
Louis
Thireau, un ancien maire de la ville, explique qu’à l’époque de
la conquête, la ville n’était habitée que par des musulmans et
quelques israélites, et divisée en quatre parties distinctes : « le
centre occupé par les Kouloughlis et les Turcs sur la rive gauche de
l’Ain-Sefra, groupés autour d’un vieux fort appelé Bordj el
Mehal (fort des Cigognes) ; Matemore, quartier presque
exclusivement occupé par les Maures, se livrant au commerce des
grains ; Tigditt au Nord qui avait l’aspect d’un faubourg
complètement ruiné ; et, enfin, Didjida, situé au Sud qui fut
appelé par la suite : village des Citronniers. »
On
voit ici l’importance de cette bipolarisation Kouloughlis/Hadar,
les premiers — ch.
Alawî est de leur nombre — ayant des ascendants turcs, tandis que
les seconds sont d’origine purement locale,
bipolarisation
qu’on retrouve
dans d’autres villes comme Tlemcen. Selon les auteurs français,
ces deux communautés se vouent partout dans l’Ouest algérien une
haine mutuelle tenace[44],
qui deviendra plus souterraine avec la colonisation et se
transformera donc en concurrence sociale. Alfred Bel décrit ainsi la
situation à Tlemcen :
Hadar et Koulouglis
n’ont jamais vécu en bonne intelligence. Au moment de la conquête
française, ils étaient en guerre ouverte les uns avec les autres et
les Koulouglis se sont mis aussitôt du côté des Français.
Aujourd’hui, grâce à l’autorité de l’administration
française et à son rôle pacificateur, les deux clans vivent en
assez bons rapports l’un avec l’autre ; mais une inimitié
latente existe encore cependant entre les membres d’un çof et ceux
de l’autre. Koulouglis et Hadar habitent comme on l’a vu des
quartiers distincts (à de bien rares exceptions près) ; ils se
fréquentent assez peu et s’unissent très rarement par le
mariage[45].
Mais
à la différence de Tlemcen, il y a peut-être à Mostaganem une
plus grande diversité ethnique due à la situation côtière,
diversité qui se retrouve dans la variété des patronymes : Ben
Kritly, nom d’un disciple de ch. Bûzîdî, marque par exemple une
origine crétoise, le nom de Ben Malti, le témoin qui constate la
naissance de ch. Alawî, signifie « maltais », etc. Avant
la conquête, l’importante communauté juive, soumise « à la
même justice et aux mêmes impôts que les indigènes[46] »
mais disposant de l’administration et de l’entretien de ses
synagogues, avait la main haute, avec les mozabites, sur la plupart
du commerce de la ville[47].
Dès
l’occupation de la ville, les immigrants européens affluent,
surtout Espagnols et Génois au départ. À la fin de 1839, la
population de Mostaganem se compose de 1 428 musulmans, 406
israélites et de 282 européens. Mostaganem devient commune le 31
janvier 1848 et sous-préfecture le 31 juillet 1849, puis connaît
une grande extension extra-muros à partir de 1878[48].
Si certains quartiers avaient pu paraître ruinés aux Européens, il
faut bien dire que c’était une conséquence directe de la
« sauvagerie des premiers conquérants[49] »,
les combats ayant détruit non seulement les habitations mais même
tout le système d’irrigation. Mais si la ville avait décliné
pendant et après la conquête, elle va progressivement reprendre
vigueur économiquement et démographiquement tout au long du
XIXe siècle.
À vrai dire, Mostaganem représente un cas d’invasion ethnique
assez flagrant, surtout si l’on compare le rapport des deux
populations entre 1861 et le début du XXe
siècle : selon Thireau[50],
celle-ci ne comptait que 10 755 habitants en 1861, dont « très
peu de Français ou Européens ». L’effectif se met à
croitre très rapidement[51]
à partir de 1881,
mais en réalité l’élément musulman reste à peu près stable,
et ce sont les immigrants européens qui en à peine 25 ans font
doubler la population[52].
Avec
la présence française, la ville se développe selon un modèle
urbain bipolaire, les parties arabo-musulmane et européenne étant
séparées par l’Ain-Sefra, et les différents éléments donnant à
la partie européenne son caractère de « cité française »
sont édifiés progressivement : bâtiments administratifs,
écoles, collèges, ponts sur l’Ain-Sefra, marché couvert, halles
aux grains, école primaire supérieure, port, chambre de
commerce[53],
hôpital, etc...
Selon
le recensement quinquennal de 1891, Mostaganem (inclus Tigditt, le
faubourg dans lequel la confrérie apparaît) compte alors une
population de 16 290 habitants. Si l’on enlève la garnison, il y
avait en 1891 à Mostaganem 14 568 habitants dont environ 6 000
indigènes, 1 425 maisons et 3 694 ménages. Au début du XXe
siècle, en 1906, il y a un équilibre presque parfait entre les
populations musulmane (11 000) et européenne (10 000), situation qui
perdurera jusqu’en 1936. Ce n’est que dans l’après-guerre que
la population musulmane deviendra nettement majoritaire (31 000
musulmans pour 19 000 Européens en 1947)[54].
L’économie
est basée sur une agriculture de plus en plus dominée par la
viticulture au détriment des céréales, et l’élevage est en
pleine décadence. L’industrie indigène n’est pas très
importante selon Thireau[55],
à part quelques tanneries de Tigditt, métiers à tisser, petites
fabriques de haïks, tapis, burnous, sellerie, chaussures — c’est
là que ch. Alawî trouvera très jeune son premier emploi —, ainsi
que des teintureries avec ateliers pour la fabrication de meubles.
Avant la construction du port qui débute en 1890[56],
l’activité de pêche reste assez limitée. En 1912, Thireau note
que le commerce de Mostaganem est redevenu très important grâce au
port et aux lignes de chemins de fer[57].
La ville deviendra plus tard le deuxième port algérien, par lequel
transiteront à destination de la métropole les produits de
l’agriculture et de l’élevage. Le port sera également une porte
d’entrée pour les matériaux de construction ou les engrais
chimiques. Khelifa remarque que Mostaganem bénéficie de trois
facteurs de développement commercial : sa position
géographique, le port, qui en
fait ne
sera totalement achevé qu’en 1935, et enfin le raccordement au
réseau ferroviaire[58].
Culturellement,
Mostaganem est donc une terre de brassage. Elle l’était déjà de
par sa position géographique et son histoire, mais elle le deviendra
encore plus avec la présence coloniale et le port qui sera une
nouvelle source d’influence et de passage[59].
Cette diversité des origines et la situation maritime expliquent
peut-être en partie une ambiance islamique plus « ouverte »
à Mostaganem que dans l’intérieur des terres. On devine également
que le poids de la population européenne était tel que le contact
forcé avec le monde des colons devait nécessairement conduire à
une certaine acculturation partielle. Mostaganem avait d’ailleurs
en 1895 plus d’anciens élèves d’écoles primaires indigènes
qu’Oran ou Tlemcen[60],
ce qui va dans le même sens.
Ainsi,
Mostaganem est un lieu manifestement plus cosmopolite que d’autres
villes telles que la très conservatrice Tlemcen, ce qui va faciliter
l’insertion sociale de ce soufisme discret, pacifique et intégré
qui se développe autour de ch. Bûzîdî.
[1]
C. Trumelet, L’Algérie
légendaire, Alger,
éd. Augustin Challamel, 1892, p. 235.
[3]
Avec la Qâdiriyya et, plus
récemment, la Tidjâniyya.
[4]
Ces personnages n’en sont pas
historiquement les fondateurs, mais plusieurs auteurs leur
attribuent une certaine paternité en la matière : cf.
l’introduction d’Éric Geoffroy dans Une
voie soufie dans le monde : la Shâdhiliyya,
Paris, Maisonneuve & Larose, 2005, p. 17.
[5]
À la question de savoir
« pourquoi les hommes du tasawwuf
proviennent pour la plupart de l’Occident », ch. Alawî
apporte la très symbolique réponse suivante : « L’Orient a
fourni une multitude de prophètes ; il était donc nécessaire que
ce soit l’Occident qui “fasse l’aumône” de saints autant
qu’il le pouvait : À
ceux-ci comme à ceux-là, Nous apportons quelque chose des
bienfaits de ton Seigneur (17,
20). Et la supériorité revient aux premiers : Parmi
vous, ceux qui ont fait l’aumône et combattu avant la victoire
sont supérieurs en degré à ceux qui ont fait l’aumône et
combattu après, mais à tous est promise la belle récompense
(57, 10) : la victoire ici, c’est la grand victoire, c’est-à-dire
la mission de Muhammad. Ceux des prophètes et des envoyés qui ont
assumé la mission d’appel à Dieu jusque-là sont donc supérieurs
en degré à ceux des saints qui l’assument après Muhammad : mais
à tous est promise la belle récompense » (Ch. Alawî,
A‘dhabu l-manâhil
fî l-ajwiba wa l-rasâ’il,
Mostaganem, Imprimerie Alaouïa, 1993 [1e
éd. 1944], p. 76). Les soufis orientaux ont évidemment un avis un
peu différent en la matière, en raison parfois d’un certain
complexe de supériorité des milieux savants à l’égard du
soufisme populaire du Maghreb, dont on n’a pas besoin de chercher
beaucoup pour trouver des traces jusque dans les sources alawies.
Après qu’un disciple de ch. Alawî lui a montré certains des
livres de son maître, le très célèbre cheikh proche-oriental
Yûsuf b. Ismâ’îl al-Nabhânî marque son grand étonnement et
s’exclame : « Gloire à Dieu ! On trouve un tel homme dans
votre pays ! […] Je regardais le Maghreb avec un certain dédain,
mais maintenant, j’ai hâte de m’y rendre, grâce à ce grand
homme qui s’y trouve. » Cf. Muhammad ibn ‘Abd al-Bârî,
al-Shahâ’id wa
l-fatâwî fî mâ sahha ladayy al-‘ulamâ’ min amr al-shaykh
al-‘Alâwî,
compilé et annoté par Muhammad al-Jarîdî, Tunis, 1925, sans
indication de l’éditeur (désormais appelé Shahâ’id),
p. 97-103.
[6]
Cf. à ce sujet l’article d’I.
Weismann, « The Shâdhiliyya-Darqâwiyya in the Arab East
XIXth/XXth
Centuries » dans Une
voie soufie dans le monde, op. cit.,
p. 255-267. On peut signaler notamment que Muhammad Zâfir (m.
1906), fils du fondateur de la Madaniyya, Muhammad ibn Hamza
al-Madanî (disciple direct de ch. Darqâwî), et ‘Alî Nûr
al-Dîn al-Yashrûtî (m. 1899), un autre moqaddem de ce dernier,
exercèrent une influence directe sur le Sultan Abdülhamid II. Un
autre moqaddem, Muhammad al-Fâsî, fut le maître spirituel sur le
tard de l’Émir Abd El-Kader.
[7]
Cf. Charles-Robert Ageron,
Les Algériens musulmans et la France, Saint-Denis,
Bouchène, 2005 [1e
éd. 1968], I, p 293-294.
[8]
Cf. ibid.,
p. 37 : « “En Algérie, déclarait le Commissaire du
Bouzet, nous sommes Républicains depuis que Napoléon III a
prononcé en 1863 le mot de ‘Royaume Arabe’, ennemis acharnés
de l’Empire. Pour nous l’Empire, le Royaume Arabe, la ruine de
la colonisation, c’est tout un.” Cette très franche déclaration
résume fort bien les réflexes passionnels des colons algériens du
Second Empire : ils étaient opposés au régime impérial et se
prononçaient contre tout ce qui venait de lui et ils l’étaient
essentiellement à cause de la politique indigénophile de Napoléon
III des officiers de Bureaux arabes. »
[22]
Comme le montre dans ce cas
précis une lettre-rapport du chef du service des Affaires indigènes
au gouverneur général (Archives nationales de l’outre-mer
[désormais A.N.O.M.], Gouvernement général de l’Algérie
[désormais G.G.A.], 16 H 08).
[23]
Il fut certes emprisonné mais
rapidement relâché : cf. A. Bentounès, Rawda
al-saniyya fî l-ma’âthir al-‘alâwiyya,
Mostaganem, Imprimerie Alaouïa, 1984 [1e
éd. 1936], désormais désigné simplement par Rawda,
p. 105.
[24]
Ageron, Les
Algériens musulmans et la France,
op. cit.,
I, p. 39.
[27]
Ferdinand Hugonnet, Souvenirs
d’un chef de bureau arabe,
Paris, Michel Lévy Frères, 1858, p. 150 sq.
[28]
Cet aspect de la vie des
musulmans explique en partie les quelques modifications apportées
par ch. Alawî à la règle de la voie des Darqâwâ. On sait en
effet que le cheikh Darqâwî et son maître Sîdî ‘Alî al-Jamal
préconisaient des pratiques telles que la mendicité, qui étaient
surtout des moyens, dans une voie qui accueillait des nobles, des
aristocrates et des savants, pour provoquer un choc psychique
permettant de s’affranchir des complexes de supériorité
inhérents à de tels milieux. Dans ce domaine de la vie
« matérielle, », ch. Alawî va opérer une sorte de
retour à l’équilibre qui caractérise la Shâdhiliyya
originelle, en incitant ses disciples à rechercher une stabilité
économique gage de tranquilité matérielle, dans un monde où les
modes de vie frugaux des époques du passé semblent définitivement
impraticables.
[29]
L’équivalent musulman de la
fondation, le habous, se voit en Algérie refuser le statut de bien
collectif échappant à l’impôt qu’on tolère pourtant pour la
fondation.
[30]
À propos de la distinction sur
laquelle la colonisation va s’appuyer, celle qui oppose le ‘arsh
au melk, inexistante avant 1830 (où l’on distinguait entre kharâj
et ‘ushr),
cf. Ageron, Les
Algériens musulmans et la France,
op. cit.,
I, p. 67-71.
[31]
Cf. Ageron, Les
Algériens musulmans et la France,
op. cit.,
I, p. 79.
[33]
Cf. ibid.,
p. 113 : « Il n’en reste pas moins que l’État tirait de
ses forêts une rente importante que lui fournissaient les
misérables, traqués par le Service forestier à l’égal
d’animaux nuisibles. Les propriétaires privés s’aperçurent
vite eux aussi que le produit des amendes pouvait être supérieur à
celui des bois et des lièges. Ils mirent en place un personnel de
gardes privés rétribués au pourcentage qui verbalisèrent à
l’envi. Comme après 1870 les géomètres des propriétaires
avaient établi de nouvelles limites empiétant largement sur les
terres de culture des indigènes, ceux-ci étaient en fait
verbalisés pour pacage sur leurs propres terres, celles que leur
avaient reconnues les enquêteurs du sénatus-consulte. »
[43]
Cf. Sidi Ali Hachlaf, Les
Chorfa : les nobles du monde musulman,
Paris, Publisud, 1995, p. 98.
[44]
Le Général Boyer, dans un
rapport daté du 1er
octobre 1831, explique que « les villes de Mostaganem et
de Tlemcen sont occupées par 5 600 Turcs et Coulouglis. Jusqu’à
aujourd’hui, ces postes militaires ont été maintenus contre
toutes les entreprises faites et dirigées contre eux par les
Marocains et les Arabes. Je suis en correspondance avec les chefs de
ces garnisons. Jamais ils ne capituleront avec les Arabes qui les
massacreraient jusqu’au dernier, s’ils voulaient évacuer et se
rendre à Oran. Il faudrait aux Français une force imposante pour
aller chercher ces garnisons (cf. Belhamissi, op.
cit., p. 102).
[45]
Dans cette étude sur les
musulmans de Tlemcen qu’il publie en 1908, Bel explique également
(p. 201-203) que les Hadar [appelés également « Maures »]
sont des « citadins » qui sont des « Berbères
arabisés, c’est-à-dire plus ou moins mélangés de sang arabe »,
tandis que les Kouloughlis sont issus des Turcs « croisés »
avec les femmes indigènes. Bel montre que chaque communauté a son
quartier dans Tlemcen : les Hadar sont au nord-est et à l’est,
les Kouloughlis à l’ouest et au sud-ouest, et quelques-uns dans
la partie sud-est de Tlemcen et dans les jardins autour de la ville.
Cf. Alfred Bel, « La population musulmane de Tlemcen »,
Revue des études
ethnographiques et sociologiques,
1908, p. 200-208.
[48]
Salah Khelifa, Alawisme
et Madanisme (des origines immédiates aux années 50),
Univ. Lyon III, Lyon, 1987, Th. d’État, Ét. arabo-islamiques, p.
134.
[49]
Belhamissi, op.
cit., p. 124, qui
renvoie à un auteur français des plus critiques : A.
Desjobert, L’Algérie
en 1838, p. 93-94.
[50]
Louis Thireau, Mostaganem
et ses environs, historique, administration, description,
renseignements généraux,
Impr. de E. Prim, 1912, p. 98-99.
[52]
En 1911, il n’y a que 10 205
musulmans pour 10 725 non musulmans, dont 3 725 Français d’origine,
2 689 étrangers naturalisés, 1 159 israélites naturalisés, 2 971
Espagnols, 107 Italiens et 74 Européens d’autres nationalités
(cf. ibid.,
p. 99).
[53]
Créée en 1901, ses deux
membres musulmans en 1912 sont un moqaddem darqâwî, Hammadi
Kazdali, et un Ben Kritly, Brahim de son prénom. Thireau donne
également des noms connus (voir infra)
pour deux des trois assesseurs du Tribunal répressif de
Mostaganem : Harrag Ben Kritly et Kara Mostefa (cf. ibid.,
p. 138 et 165).
[59]
On peut se demander si le Yémen
et les disciples yéménites auraient joué le même rôle dans
l’histoire et l’extension de la confrérie Alawiyya si
Mostaganem n’avait pas été un port important.
[60]
Cf. Ageron, Les
Algériens musulmans et la France,
op. cit.,
I, p. 538.